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46 | L ’ A C T U A L I T É J U R I D I Q U E 2 0 1 8 P A R F I D U C I A L L E G A L B Y L A M Y contrôlée. Àpartir d’une telleanalyse, leTCScompé- tent sera celui dans le ressort duquel est implantée la filiale, contrôlant elle-même une sous-filiale lui permettant d’atteindre les seuils visés par le texte. Le tribunal de commerce naturel de la société mère ne pourrait donc pas connaître d’une telle procé- dure. Ensuite, et à l’opposé, il est possible d’écarter ce raisonnement purement littéral au profit d’une analyse plus conforme à la volonté du législateur et reposant sur la prise en compte du groupe dans son ensemble. Dans une telle perspective, les seuils légaux seront vérifiés à l’échelle du groupe, mais le respect de la lettre des textes en pâtit. Aucune de ces solutions n’est pleinement satisfaisante. II – DES SOLUTIONS IMPARFAITES 11. Il ne paraît pas opportun de déterminer le tri- bunal de commerce spécialisé à partir d’une analyse concentrée exclusivement sur la situation de la filiale et d’une sous-filiale. Le résultat produit pourrait être exactement inverse à celui recherché par le législateur dans la loi du 6 août 2015. Dans ce texte, deux objectifs ont en effet été poursuivis à travers la réécriture de l’article L. 662-8 et l’avè- nement des tribunaux de commerce spécialisés de l’article L. 721-8. Le premier objectif consiste à améliorer le traitement des difficultés des groupes en favorisant une centralisation du contentieux auprès du tribunal ayant ouvert une première procédure à l’égard d’une société membre d’un groupe. Le second objectif consiste à réserver les dossiers les plus complexes à certains tribunaux spécialisés. Ces deux objectifs méritent souvent d’être envisagés ensemble, les dossiers complexes impliquant généralement l’existence d’un groupe. Il convient de tenir compte, dans l’application de l’article L. 721-8, de la manière dont le législateur appréhende la question des groupes à l’article L. 662-8 du Code de commerce. Ce texte centra- lise le contentieux à partir de la notion de contrôle telle qu’elle est envisagée aux articles L. 233-1 et L. 233-3 du Code de commerce, si bien que dans le cas par exemple d’une procédure collective ouverte à l’encontre d’une holding, le tribunal est ensuite compétent pour ouvrir des procédures concernant tant les filiales que les sous-filiales de cette holding. La compétence est alors envi- sagée de manière large, et lorsque l’article 721-8 semble ne se référer qu’à deux sociétés seule- ment, il s’agit probablement là d’une maladresse de plume. On s’en convaincra en examinant les tra- vaux parlementaires ayant précédé le vote de la loi Macron. Il était en effet indiqué que pour tenir compte « de la technicité du droit des entreprises en difficulté, nous considérons qu’il est nécessaire de spécialiser les juridictions commerciales exis- tantes, en regroupant les affaires les plus sensibles au sein de tribunaux dédiés au traitement de ces dossiers identifiés comme étant particulièrement complexes » 7 . Le texte, a-t-il été dit, « vise aussi à répondre au problème très concret qui se pose lorsqu’un groupe en grande difficulté économique se retrouve devant deux ou plusieurs tribunaux de commerce, comme cela fut le cas pour les entre- prises Villeneuve Pet Food et Mory-Ducros » 8 . 12. Raisonner de façon purement littérale dans l’in- terprétation de l’article L. 721-8 peut conduire à ce qu’un tribunal soit saisi des difficultés rencontrées par une holding et ses filiales, en application de l’article L. 662-8 du Code de commerce et dans la mesure où les seuils de l’article L. 721-8 ne seraient pas atteints, quand une sous-filiale pourrait, elle, relever de la compétence d’un tribunal de commerce spécialisé si elle atteint seule les seuils visés par le texte. Et dans le cas des groupes particulièrement importants, on pourrait fort bien imaginer que deux tribunaux de commerce spécialisés différents soient compétents pour traiter des difficultés des sociétés du groupe. Un tel résultat, quoique rarissime en pra- tique, irait à l’encontre de l’esprit de l’article L. 662-8, qui vise à centraliser le traitement des difficultés du groupe, mais également de celui de l’article L. 721-8 puisque ce texte repose sur la volonté de confier à un tribunal spécialisé, et un seul, les dossiers com- plexes. Or, admettre la compétence potentielle de deux tribunaux de commerce spécialisés serait clai- rement un facteur de complication de plus. 13. S’écarter de la lettre d’un texte est toujours le symbole d’un certain échec, mais on ne voit pas d’autre solution que d’admettre que l’article L. 721-8 permet de consolider les effectifs salariés et le montant des chiffres d’affaires à l’échelle non de la société contrôlante et d’une seule société contrô- lée, mais de la société contrôlante et des sociétés qu’elle contrôle directement et indirectement. 14. Certes, un TCS pourrait toujours user de la pro- cédure de dépaysement afin de pouvoir être saisi des procédures collectives ouvertes à l’égard des autres sociétés du groupe. Mais dans les situations d’urgence, ce détour pourrait ne pas être adapté. On pourrait aussi faire valoir que l’article L. 662-8, alinéa 3, prévoit justement une règle permettant de centraliser le contentieux au profit du tribunal de commerce spécialisé. Mais il est remarquable d’observer que le texte ne prévoit le renvoi devant le TCS que des procédures ouvertes à l’encontre des sociétés contrôlées et non pas d’une procé- dure ouverte à l’encontre de la société contrôlante. Tout au contraire, si une holding vient à faire l’objet d’une procédure devant un tribunal de commerce figurant par ailleurs sur la liste des TCS, la règle prévue à l’article L. 662-8, alinéa 1 er , du Code de commerce doit s’appliquer normalement. De la sorte, la compétence du tribunal saisi de la procé- dure ouverte à l’égard de la holding est susceptible d’être étendue aux filiales et sous-filiales, ce qui offrira à la juridiction une vision panoramique, sans que la désignation d’un tribunal de commerce spécialisé soit remise en cause. 15. Les objectifs poursuivis par le législateur dans la loi du 6 août 2015 sont donc mieux servis si les seuils visés par l’article L. 721-8 ne sont pas appré- ciés au stade de la filiale et d’une sous-filiale, mais qu’est pris en considération l’ensemble de la structure que constituent la holding, la filiale, et les sous-filiales. Ainsi, non seulement les dossiers seront centralisés auprès du tribunal ayant ouvert une procédure à l’encontre de la société contrô- lante, conformément à l’objectif poursuivi par l’article L. 662-8, mais ces mêmes dossiers seront traités par un tribunal de commerce spécialisé unique, ce qui correspond au but exprimé par le législateur à l’occasion de la loi du 6 août 2015. 7 Interv. Lemaire A., débats Sénat, séance du 6 mai 2015, art. 66. 8 Ibid.

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