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L ’ A C T U A L I T É J U R I D I Q U E 2 0 1 8 P A R F I D U C I A L L E G A L B Y L A M Y | 45 Dans sa version actuelle, l’article L. 662-8, alinéa 1 er , prévoit que « Le tribunal est compétent pour connaître de toute procédure concernant une société qui détient ou contrôle, au sens des articles L. 233-1 et L. 233-3, une société pour laquelle une procédure est en cours devant lui. Il est également compétent pour connaître de toute procédure concernant une société qui est détenue ou contrô- lée, au sens des articles L. 233-1 et L. 233-3, par une société pour laquelle une procédure est en cours devant lui ». L’essentiel ne se situe plus dans la pos- sibilité de désigner un administrateur judiciaire et un mandataire judiciaire communs à l’ensemble des procédures (alinéa 2). C’est désormais l’alinéa 1er qui retient majoritairement l’attention. Il y a sans doute beaucoup à dire sur ce texte, dont certains estiment qu’il institue de fait un mécanisme de forum shopping à la française au sens où il repose sur la règle de compétence du tribunal saisi en premier lieu 2 . C’est une innovation considérable, applicable aux procédures, amiables autant que judiciaires, ouvertes à compter du 1 er  mars 2016. 4. Enfin, les règles relatives aux tribunaux de com- merce spécialisés (C. com., art. L. 721-8) n’ignorent pas le cas des groupes de sociétés. Le dispositif peut en effet s’appliquer soit à une entreprise isolée atteignant certains seuils d’effectifs salariés et/ou de montant net de chiffre d’affaires 3 , soit à une société qui détient ou contrôle une autre société au sens des articles L. 233-1 et L. 233-3 du Code de commerce. Dans ce cas, les seuils d’effectifs sala- riés et/ou de montant net du chiffre d’affaires sont consolidés 4 . Le tribunal de commerce spécialisé compétent est alors celui dans le ressort duquel se situe la société contrôlante 5 . 5. A priori, le législateur a envisagé la difficulté tenant à la coordination des dispositions de l’article L. 662-8 avec les règles relatives à la compétence d’un tribunal de commerce spécialisé. C’est tout l’objet de l’article L. 662-8, alinéa 3, qui indique que « par dérogation à la première phrase du premier alinéa, toute procédure en cours concernant une société détenue ou contrôlée, au sens des articles L. 233-1 et L. 233-3, par une société pour laquelle une procédure est ouverte devant un tribunal de commerce spécialisé est renvoyée devant ce dernier ». Lorsque la compétence d’un tribunal de commerce spécialisé est établie, l’article L. 662-8, alinéa 1 er , doit donc s’effacer. Notamment, alors qu’en principe le premier tribunal saisi voit sa compétence s’étendre à la société contrôlée ou contrôlante, la procédure ouverte à l’encontre d’une filiale sera ren- voyée devant le tribunal de commerce spécialisé compétent pour connaître de la procédure ouverte à l’encontre de la mère, quand bien même cette procédure serait ouverte postérieurement. 6. À l’examen, il apparaît toutefois que les règles propres aux tribunaux de commerce spécialisés et celles relatives à la compétence en présence d’un groupe de sociétés sont mal coordonnées (I), obligeant à choisir entre deux voies dont aucune n’est pleinement satisfaisante (II). I – UNE ARTICULATION LACUNAIRE 7. Le législateur n’a pas apporté assez de soins à la répartition des compétences entre tribunaux non spécialisés et tribunaux spécialisés. Le renvoi opéré par l’article L. 662-8, alinéa 3, du Code de commerce à l’article L. 721-8 du même code est maladroit 6 . Plus largement, il faut indiquer que l’article L. 721-8 du Code de commerce n’obéit pas à la même logique que l’article L. 662-8. Dans ce dernier cas, il s’agit de centraliser le traitement des difficultés de plusieurs sociétés d’un même groupe. Le texte suppose donc que plusieurs procédures collectives soient ouvertes. Au contraire, l’article L. 721-8 n’impose pas une telle exigence et repose entièrement sur l’importance et la complexité sup- posées du dossier. Peu importe, dans ce contexte, qu’une seule procédure collective soit ouverte dès lors que les seuils d’effectifs et de montant minimal du chiffre d’affaires sont atteints. Aussi, lorsqu’il s’agit d’apprécier les conditions d’effectif ou de montant du chiffre d’affaires, il ne convient pas de limiter la consolidation aux seules sociétés du groupe qui font l’objet d’une procédure collective ou encore de restreindre l’appréciation aux socié- tés ayant leur siège en France. Il n’y a pas lieu de distinguer là où la loi ne distingue pas. 8. Un exemple concret permet de mesurer les limites du système mis en place. Il suffit d’imaginer une société holding, n’ayant pas d’activité propre et n’employant aucun salarié, immatriculée auprès d’un tribunal appartenant à la catégorie des TCS. Cette société holding contrôle une filiale qui relè- verait d’un autre TCS si elle devait faire l’objet d’une procédure collective et cette filiale n’atteint pas les seuils posés par l’article L. 721-8. Mais la filiale en question contrôle une sous-filiale ce qui permet, en consolidant les effectifs et le montant de leurs chiffres d’affaires respectifs, de déclen- cher la compétence d’un TCS. 9. En se référant uniquement à l’article L. 662-8, le tribunal de commerce compétent à l’égard de la holding le serait pour toutes les sociétés que cette dernière est susceptible de contrôler. Dans la mesure où l’article L. 662-8 vise l’article L. 233-3 du Code de commerce, c’est toute la chaîne de contrôle qui peut être appréhendée, si bien que le tribunal de commerce en question peut voir sa compétence étendue à toutes les sociétés même indirectement contrôlées par la holding. Toutefois, la règle contenue à l’article L. 662-8 du Code de commerce s’inclinant face à la compétence d’un tribunal de commerce spécialisé, il est impéra- tif de procéder à cette vérification. Dans notre exemple, les seuils posés par l’article L. 721-8 ne seront pas atteints si l’attention se porte sur la société holding et sa filiale, qu’elles soient envi- sagées ensemble ou isolément. Les seuils seront toutefois atteints en consolidant les effectifs et les chiffres d’affaires de la filiale et de la sous-filiale. 10. Un tribunal de commerce spécialisé est donc assurément compétent, mais est-ce celui dont dépend la société d’exploitation ou celui dont dépend la holding ? Deux approches sont pos- sibles. Tout d’abord, on peut choisir de concentrer l’analyse sur la filiale et les sous-filiales et cela sur le fondement d’une analyse purement littérale de l’article L. 721-8 du Code de commerce. En effet, ce texte évoque (L. 721-8, 1°, c et d) « une société qui détient ou contrôle une autre société » et, pour circonscrire le champ de la consolidation des effec- tifs salariés ou du chiffre d’affaires, il fait référence aux « sociétés concernées » ou à « l’ensemble de ces sociétés ». Ces expressions renvoient néces- sairement à la société contrôlante et à la société 2 2 – V. ainsi Dammann R. et Pigot M., « Loi Macron : l’introduction du forum shopping à la française », BJE mai 2016, n° 113g9, p. 158 et s. Comp. Vallansan J., « La compétence des TCS dans le cadre des groupes de sociétés », Rev. proc. coll. 2016, étude 22, p. 14. 3 C. com., art. L. 721-8, 1° a et b visant une entreprise dont le nombre de salariés est égal ou supérieur à 250 et dont le montant net du chiffre d’affaires est d’au moins 20 millions d’euros ; ou une entreprise dont le montant net du chiffre d’affaires est d’au moins 40 millions d’euros. 4 C. com., art. L. 721-8, 1°, c et d. 5 C. com., art. L. 721-8, 4°, al. 2. 6 V. en ce sens, Menjucq M., « Compétence des tribunaux de commerce et groupes de sociétés », Rev. proc. coll. 2015, repère 5.

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